lundi 26 mai 2014

Drôle de gauche....

Quand on plante des carottes, on n'a pas à s'étonner que ce ne soient pas des choux qui poussent.

Drôle de gauche qui pleure aujourd'hui: au nationalisme de Le Pen, elle a répondu "notre nationalisme est meilleur que le vôtre". Au racisme, elle a répondu " oui, c'est vrai, l'immigration est un problème, mais nos solutions sont meilleures que les vôtres".

Drôle de gauche qui pleure aujourd'hui: elle qui a surenchéri sur la dénonciation des "élites apatrides" opposées à la "production de nos PME" , elle a qui a pris l'habitude de défendre les terroirs et le roquefort AOC plutôt que l'unité de tous les exploités de la planète.

Drôle de gauche qui pleure aujourd'hui: elle qui a cru pouvoir aussi surfer sur les peurs des gens au lieu de les faire espérer, elle qui a préféré prendre comme acquis le repli sur soi plutôt que porter la bannière internationaliste.
Drôle de gauche qui ne comprend pas les abstentionnistes : mais hormis le jour des élections, les gens qui crèvent la dalle, qui n'ont aucun espoir concret dans la vie, à part celui peut-être de ne pas être virés demain, d'avoir encore un petit contrat précaire, de pouvoir payer encore un an de fac à leurs gosse n'existent pas pour cette gauche.
Drôle de gauche, qui se pense "radicale", mais se pose sur les mêmes fronts que le FN, toujours prête à courir au secours des dictateurs à la Poutine, toujours prompte à choisir les mêmes chevaux bruns que les fascistes de Kadhafi à Assad.

Sait-elle cette "gauche" que plein de gens ne savent plus ce que veut dire "gauche" ? Qu'entre un Valls ou un Mélenchon, il n'y a plus guère de place pour se souvenir de ce qu'elle fut autrefois ?
La gauche aujourd'hui, entre discours sécuritaire et nationaliste est devenue cette élève médiocre qui donne de mauvaises réponses aux questions posées par les fascistes. Parce qu'il n'y a jamais de "bonnes " réponses quand on a accepté que ce soient les fascistes qui posent les questions.

Posons les bonnes questions, arrêtons le concours de la bêtise raciste et antisémite avec les bruns, et de nouveau, des gens s'intéresseront à la question politique sur nos bases.
Mais cessons de nous plaindre de l'abstention des gens à qui la gauche ne demande ni ne donne plus rien depuis longtemps.

vendredi 14 mars 2014

Des papas, des mamans et de parfaits enfants ( chut, arrête d'exister)

A Bonneuil sur Marne, les enfants n'iront pas au théâtre.

C'était l'histoire d'un garçon homo ( chut, ça n'existe pas) qui recueille ses demi-frères et soeurs après la mort ( chut, ça n'existe pas) de leur mère.

A Bonneuil sur Marne, il n'y a qu'un papa , une maman et un parfait enfant. Multiplié par mille, par cent mille, dans de convenables appartements. 

Tout le monde est normal à Bonneuil sur Marne. Alors à l'inspection d'académie, on a haussé les sourcils, pensé à ces mamans Zara et ces papas Celio, qui pourraient s'énerver légitimement qu'on puisse emmener leurs enfants voir une pièce qui parle d'anormaux. On a annulé.

Ah bien sûr, si les papas homos existaient, si les enfants dont la maman est morte existaient, ce serait horrible une telle décision. Ils seraient humiliés les papas homos, et les enfants dont la maman est morte aussi, qu'on décide de cacher les histoires de leurs vies aux autres, qu'on les décrète anormaux, pas beaux, pas scolaires. Mais ils n'existent pas , à Bonneuil sur Marne.

Au Perreux, les enfants n'iront pas au théâtre. C'était l'histoire d'une princesse qui ne veut pas se marier avec un prince ( chut, ça n'existe pas). 

Au Perreux, il n'y a qu'un papa , une maman et un parfait enfant. Multiplié par mille, par cent mille, dans de convenables appartements. 

Ah bien sûr, si les petites filles que le rose écoeure jusqu'à l'ennui existaient, si certaines d'entre elles pleuraient en secret à chaque poupée qu'on leur offre, à chaque collant filé qu'on leur reproche, à chaque petite merveille aux cheveux doux comme de la soie qu'on admire ( et pas elles, et pas elles), ce serait terrible d'annuler la sortie-théâtre, ce serait les jeter un peu plus à la vindicte de leurs petits camarades, puisque les comme elles on les cache. Mais elles n'existent pas à Nogent Le Perreux. 

Dans le 10ème arrondissement, la salle de consommation attendra. C'était pour éviter que des gens meurent, seuls, sur le sol gris et crasseux d'une entrée de garage, dans l'odeur de pisse d'une sanisette publique.

Mais à Paris, il n'y a qu'un papa, une maman et un parfait enfant. Multiplié par mille, par cent  mille, dans de convenables appartements.

Les usagers de drogue, ça n'existe pas, il n'y a que des toxicos, qui ne sont les enfants de personne, surtout pas les miens, surtout pas les tiens, surtout pas ceux des honnêtes riverains.

Avec le Président normal, au fond, tout redevient normal. Enfin. L'autre, celui d'avant, il en faisait trop avec sa guerre aux déviants, aux pauvres, aux différents, c'était contre-productif, ça les faisait exister.

Maintenant c'est plus simple. L'extrême-droite décide de ce qui est normal, de qui est un citoyen existant et de qui est un mythe déviant et puis le gouvernement fait en fonction de ça. Sans attaque frontale et sans barouf, à coup de de "Je préfère ne pas". 

Moi président, je préfère ne pas laisser voir aux enfants certaines pièces de théâtre. Moi, président, je préfère ne pas autoriser la PMA, ne pas accorder le droit de vote aux étrangers, ne pas donner plus de moyens aux centres IVG, ne pas ouvrir des salles de consommation.

Moi président, je préfère ne pas prendre en compte votre existence, par essence, vous n'êtes pas très intéressants, pas tellement attrayants, pas tellement sondagement payants. Desespérément minoritaires, même si tellement nombreux. Désespérément pas moyens, donc pas Français, si peu Montebourg, si peu Zemmour, si peu Bourdin, si peu Boutin. 

Si peu village, tellement en marge.

Moi, Président, je préfère le papa, la maman et son parfait Enfant.

jeudi 13 mars 2014

Candidats FN malgré eux, la bonne blague.

"Un couple quasi-analphabète dit être candidat malgré lui sur une liste FN à Louhans", titre l'Express.

Ca fait quelques jours que les articles de ce genre se multiplient, à la grande joie des anti-FN . On veut tous y croire, les gens du Front sont abusés par le Front. Ce serait si simple, que tout cela soit une manipulation, le racisme, une magouille de la bourgeoisie sur nos esprits faibles.

Tu voudrais y croire, mais tu n'y crois pas. A cause de ton couple de voisins. Des prolos, pas analphabètes, mais pas le genre à se cultiver non plus. Des gens faibles, lui timide, parti au taf dès l'aube, elle ravagée par une vieille dépression, toujours au bord des larmes.

Des petits salauds accessoirement. De ceux qui pourrissent la vie des autres, cherchant la faiblesse sociale,  reniflant de loin la faille qui place d'autres prolos encore plus bas qu'eux. Et prompts à l'exploiter une fois qu'ils l'ont trouvée, en allant chercher comme alliés, la police, le bailleur et que sais-je encore. Un jour c'est tombé sur toi. La belle lettre du fameux bailleur " des voisins se plaignent, blablaba, règlement intérieur, blablabla, attention récidive, expulsion, blablabla, merci de faire cesser ces troubles". 

Il t'a fallu douze secondes malgré ta colère noire pour savoir de qui il s'agissait. Tous les locataires de HLM de la Terre connaissent les "signes" avertisseurs de la cabale voisinesque , qu'elle se déchaîne contre le Noir, l'Arabe, l'Asocial ou le Dernier Arrivé, bouc émissaire obligé quand les connards n'ont rien d'autre à se mettre sous la dent. C'est l'absence de réponse à ton bonjour, c'est la porte qui s'entrouvre tout doucement, mais personne ne sort, et l'interstice exhale juste un soupir d'exaspération. Ce sont les conversations qui s'interrompent sur ton passage, où ta voisine figure toujours , et pince les lèvres jusqu'à saigner . Et puis bien sûr ça finit par la lettre de menaces du bailleur. 

Que tu lui brandis un beau matin ensoleillé à la sortie de l'immeuble, déclenchant les oeillades rigolardes d'autres voisins, parce que c'est pas tous les jours qu'on s'amuse, dans le bâtiment. Et sur laquelle, en larmes, tremblante et indignée , elle prétend n'avoir aucune responsabilité. Elle niera même devant l'évidence, celle des autres voisins qui bien sûr l'ont balancée , constatant que tu n'es pas le mouton qui va contrit à l'abattoir, celle du salarié du bailleur qui l'a balancée aussi, ne souhaitant pas continuer à se faire engueuler et menacer de poursuites pour "dénonciation calomnieuse". 

Dans une société où la désignation de boucs émissaires est un sport pratiqué par les gros bourgeois, où la folie sécuritaire et stigmatisante constitue l'essentiel des journaux télévisés, où Marine Le Pen se fait lécher les bottes par les trois quart des éditorialistes, souvent le prolo s'imagine autrement les conséquences de sa soumission à toutes ces saloperies. 

Ta voisine ne pensait pas que tu allais broncher, elle s'imaginait soutenue et applaudie par les autres voisins, elle savourait à l'avance le délice de la socialisation valorisante, les félicitations dans l'ascenseur , les " vous avez eu bien du courage, ces deux-là nous emmerdaient tous". 

C'est pareil pour le 24ème de la liste FN. Flatté par le petit commercial en costard cravate qui a pris le temps de le caresser dans le sens du poil, d'écouter ses récriminations sans fin sur les jeunes qui rigolent trop pendant que lui tire la gueule, sur l'odeur du mafé du 3ème et les crottes de chien sans doute semées exprès par des étrangers. Ebloui par l'idée d'être quelqu'un enfin, respecté non seulement par le VRP du Front, mais aussi par les autres voisins, celui qui ne se contente pas de parler contre les arabes et les Noirs, mais qui agit.

Avoir un petit bout, tout petit, mais un bout quand même de l'auréole de respect et de considération qui entoure Marine Le Pen, lui à qui son racisme n'a jamais rien rapporté. 

Alors on signe le petit bout de papier, un peu exalté et rêveur.

Mais n'est pas Marine Le Pen qui veut. Il y a raciste et raciste, comme il y a bourgeois et prolo. Et ton nom imprimé en 24ème et néanmoins exposé sur la place publique, c'est pas Le Pen. C'est celui du mec qui ferme sa gueule devant son patron, lequel patron te dit ironiquement " Tu te lances en politique, Dédé, fais ce que tu veux, mais moi je veux pas d'histoires chez moi, et Abdel est en colère". C'est celui du mec que ses collègues aiment pas des masses non plus, et qui trouvent qu'il est allé trop loin en pétant plus haut que son cul, que les causettes discrètes sur les jeunes collègues musulmans, c'est normal, ça mange pas de pain , faut bien se défouler. Mais que c'est pas la peine non plus de chercher les emmerdes , et qu'il vaut mieux faire le vide autour de Dédé, histoire de pas être mêlé à une éventuelle embrouille. 

D'un coup Dédé ne peut plus nier. Le racisme, c'est un truc à afficher prudemment, pas tout le temps, pas partout , quand on n'est pas Marine Le Pen. Ni le petit cravaté qui est passé à la maison.

A la télé, Marine Le Pen a gagné. Dans la vraie vie, être frontiste engagé, c'est encore un petit peu tendu, pour le prolo. 24ème de liste, ça ne rapporte rien, et finalement ça peut coûter beaucoup. Bien plus que toutes les possibilités de se défouler qui existent déjà: écrire au bailleur pour dénoncer les gosses de la famille africaine du 2ème, cracher sur la petite Rom qui fait la manche au supermarché, déposer son bulletin de vote FN dans le confort discret de l'isoloir. 

J'aimerais bien croire que je suis méchante et que t'es une victime , petit prolo raciste. Mais je vis avec toi, je te connais, je te déteste, mais je ne te méprise pas. Ouvrier, quasi-illettré, oui, et alors ? Il n'y a que les éditorialistes qui lèchent les bottes de Marine Le Pen pour penser que ce statut te rend plus con qu'eux ou inapte à faire de la politique. 

Mais t'es tout aussi intelligent que le politicien qui a fait une sortie raciste de trop, et qui va nier, parce que les conséquences sont trop grandes. Tu te croyais dans le sens du vent, mais il ne souffle pas encore assez fort pour te porter dans les hauteurs, voilà tout.

Alors ça t'arrange de jouer les victimes du FN et du petit cravaté auprès des bonnes âmes imprégnées de mépris de classe. 

Mais on sait , toi et moi, ce qu'elles font mine d'ignorer: à la base, t'as invité le FN à entrer et à boire le café sur ton canapé. A part les racistes, personne ne fait cela. 

mercredi 12 mars 2014

Chroniques de la La Grise-Hôpital

Donc, tu entres et tu es blanche. Plus blanche que les blouses usées jusqu'à la corde des infirmières, que les murs jaunis de cet hôpital de province engoncé dans la tristesse d'un dimanche.

Cette tristesse des dimanches, tu la portes au coeur comme tous les Français et tu sais qu'elle est encore plus poignante dans les hôpitaux, dans le poids nié de la tristesse des patients et des familles, dans les voix qui montent dans les aïgus pour faire joyeux et qui sonnent faux.

Il faut aller vite pour ne pas que la tristesse colle et qu'elle t'englue. Il faut trouver mille sujets pour la grand-mère alitée et briser la gêne avec la fille de la grand-mère d'en face. Une femme d'ici, ici, c'est la campagne, ici les femmes croient que les autres femmes , celle des villes les méprisentIci on croit savoir que celles qui vivent dans les métropoles regardent de haut celles qui vivent dans les bourgades endormies de mille personnes. Est-ce que tu les regardes de haut ? Possible. 

Est-ce qu'on sait ce que traduit notre regard ? On ne voudrait pas être comme "elles", c'est certain. On ne voudrait pas vivre avec mille personnes en tout et pour tout à rencontrer au quotidien. On ne voudrait pas de cette vie qu'on a appris à connaître, loin des rêveries idylliques des citadins qui s'imaginent le "retour aux sources".

Le retour aux sources s'appelle ALDI, pour les prolos d'ici. Le bio, les produits frais, patati, patata, tu sais le temps qu'il faut pour faire son jardin ?Tu crois qu'à la campagne, quand tu rentres d'un boulot mal payé, tu es moins fatigué qu'en ville ? Que tu vas aller biner, sarcler, et mitonner un purin d'orties ? 

Est-ce qu'on sait ce que traduit notre regard ? Est-ce qu'elles "savent", ces dames, et ces aides soignantes avec qui tu as brisé la glace, ce que disent leurs yeux au moment où une administrative te demande ton nom ?

Les syllabes claquent sur les murs jaunis, et résonnent dans leurs yeux. Le nom de la Grise. La pub Canada Dry, encore et toujours, tu n'es pas ce que tu parais. Où plutôt elle n'imaginent pas que ce que tu es puisse tant leur ressembler. 

La Dissonance. L'Arabe. 

C'est un moment banal, si banal que tu l'attends avec un peu de plaisir, maintenant, après tant et tant d'années, tant et tant de moments semblables. Tu as fini par aimer la surprise, l'abîme qui s'ouvre dans leurs yeux et ce film qui se déroule dans leurs têtes, à toute vitesse. Tu sais ce qu'elles font, elles cherchent frénétiquement à se rappeler si elles ont dit quelque chose, avant, dans ces mots échangés à bâtons rompus, qui aurait un lien avec les Arabes, les étrangers, l'insécurité, bref, tout ce qui aujourd'hui s'évoque si facilement, quand on ne sait pas quoi dire, le dimanche, dans la chaleur lourde d'un hôpital de province. 

Peu importe qu'elles aient dit ou non. Parce qu'on est dimanche, dans la chaleur lourde d'un hôpital de province. Parce que les vieilles dames sont là, pour longtemps, allongées dans ces tristes lits que rien ne rend plus joli, et surtout pas les pots de fleurs que tu as ramenées, comme elles. Parce qu'il est dix-huit heures, et que s'impose l'odeur fade d'un poulet-salsifis, et que tu partages avec elle la tristesse de laisser une grand-mère avec ces légumes gorgés d'eau, et cette impression lancinante qu'ici tout est recouvert de cette mince pellicule de fadeur et d'écoeurement. 

Tu ne te forces pas en parlant de ce que tu connais aussi, les médecins qui manquent dans ce petit bourg, l'ATTAC qui est si cher, et l'autre hôpital encore plus loin où l'on transfère les malades trop malades. Tu ne te forces pas en échangeant des regards de connivence fatiguée devant ces vieilles dames qui t'exposent les douleurs contre lesquelles tu ne peux rien. Tu ne fais pas semblant d'être semblable, tu l'es en partie. Tu es La Grise, métisse, disent les charitables, mais tu n'as pas besoin de charité.

Toi tu racontes l'histoire, et tu connais le poids des regards, ceux que tu affrontes, ceux qu'elles affrontent. Une chance , peut-être bien. 


jeudi 20 février 2014

L'antifascisme qui sentait le poisson mort.

Les manifs, c'est symbolique. On ne fait que marcher, ensemble d'un point à un autre. A la base, déjà, ça a parfois un côté frustrant. Mais être ensemble, c'est aussi se donner l'espoir au cœur.

Normalement. Quand tu y vas avec une boule dans le ventre, et que tu en repars avec une nausée persistante, à un moment il faut arrêter.


C'est ce que je vais faire avec les manifs antifascistes et antiracistes de la gauche, en ce moment.
Parce que l'impression de tomber de Charybde en Scylla a assez duré.

Samedi antiraciste 30 novembre : marcher sous les drapeaux des grandes organisations historiques, LDH, MRAP, LICRA. Savoir que les deux dernières n'hésitent plus à seconder, voir à devancer l'AGRIF en soutenant le concept de « racisme anti-Blancs », inventé par l'extrême-droite. Vivre ce défilé comme un immense non-dit, d'ailleurs les gens sont assez silencieux. Et pour cause, si on allait plus loin que ce « Contre le racisme » énorme inscrit sur les banderoles, on s'engueulerait. Ca finirait mal, même avec ces dirigeants du PS, qui sont là, et qui soutiendront lundi matin l'expulsion des bidonvilles, ou une nouvelle mesure contre les femmes qui portent le voile.

Mais enfin on défile. On se dit qu'un début de mobilisation, c'est toujours ça, que ça pourra donner lieu à des réactions plus rapides par la suite.

Et puis, en décembre, on attend. La manif contre l'antisémitisme et le fascisme devant le théâtre de la Main d'Or, organisée unitairement par la gauche antiraciste. On sait qu'on ne serait pas des millions, mais on sait aussi qu'on serait quelques milliers. Et même un millier, ce serait le départ attendu pour la suite. Mais il n'y en aura pas. Au contraire, on aura même des communiqués solennels de la LDH pour condamner l'interdiction de deux ou trois meetings néo-nazis du politicien. Ca, apparemment, c'était urgent.

Alors, au mois de février, on lit un appel radical contre la politique du gouvernement, contre le racisme et l'antisémitisme, « larvé » ou pas. Un appel qui dit que ce n'est pas à Valls de faire le boulot, mais à « nous ». On n'est pas franchement enthousiaste non plus, mais on y va quand même, par solidarité.

C'est à peine quelques semaines après qu'un cortège fasciste ait crié «  Juif, la France n'est pas à toi », dans les rues de Paris. Pas besoin d'être Juif pour savoir ce que ça signifie, en terme de confiance en soi et de volonté de radicalisation immédiate, de la part des fascistes. Quand leurs militants revendiquent ouvertement des slogans nazis, ça veut dire qu'ils ont décidé d'assumer tout ce qui va avec, et que ça va cogner sec, pas seulement pour les Juifs, mais pour toutes les minorités.

Donc, ce dimanche 9 février, tu vas manifester. Enfin, dix minutes à peine. Jusqu'à ce que se déploie une banderole «  Contre le sionisme et le fascisme », et qu'une cinquantaine de personnes se mette à hurler contre les « sionistes ». Dix minutes, le temps de remarquer que ce cortège là est sans doute celui qui crie le plus fort, avec le plus de rage, et de volonté politique. Et la volonté politique , elle est claire, contester Dieudonné sur son terrain, récupérer le public tant convoité de la Main d'Or. D'ailleurs il y a un ordre sur la banderole : contre le sionisme, d'abord, contre le fascisme ensuite, éventuellement, peut-être....

Donc voilà, une « manif antifasciste » qui colporte les thèmes fascistes dans les rues, avec enthousiasme en plus.

Après, il y a les soirées débat virtuelles. Ces tonnes de pages noircies par des gens qui t'expliquent toujours la même chose. Non, c'est pas parce que l'extrême-droite défile contre le « racisme anti-blancs » qu'on doit se poser des questions sur le fait de le dénoncer, nous aussi. Non, ce n'est pas parce que « sionisme » est sans doute le mot le plus employé par les sites fascistes avec « islamisme » qu'on ne doit pas en faire un pivot de nos mobilisations.

Non, ce n'est pas parce qu'on ressemble à l'extrême-droite, qu'on doit se sentir gêné aux entournures.

Ben voyons.

Bref, le «  défilez, y'a rien à voir » a assez duré.

On hésite à l'écrire, on se dit que c'est « démobilisateur ». Mais c'est le contraire.

Parce qu'une manifestation, ce n'est que symbolique. Et que les symboles sont là pour rassembler, pour conforter, pour donner la pêche. Quand les évènements symboliques donnent un goût de chiotte à tes combats quotidiens, c'est pire que pas de symbole du tout.

Les combats ne se gagnent pas dans les marches du week-end. Alors quand ces marches t'empêchent de te battre correctement le lundi, parce qu'elles ont été entachées de saloperies sans nom, quand les gens qui ne sont pas venus te demandent « c'était bien la manif ? », et qu'au lieu de pouvoir leur répondre «  génial , t'aurais du venir », tu te tais et tu te dis en toi-même «  bah heureusement qu'ils sont pas venus », il est temps de courir d'autres chemins.

Le dimanche , désormais, je n'irai pas à la pêche. Mais je me tiendrai bien loin de ce prétendu antifascisme qui sent le poisson mort.

mercredi 19 février 2014

Omar Ouhadj, Paris, 16 novembre 1961

"Nos manifestations ont eu un objectif et un sens politique. Elles nous ont permis de mettre à nu, sur le terrain, les possibilités des organisations qui nous prêchent, de dévoiler leur "autorité ", de leur infliger enfin une terrible leçon qui les a mises en face de toutes les erreurs qu’elles ont engendrées et collectionnées depuis sept ans. [...]

Nous avons évalué la solidarité des travailleurs et du peuple français. Nous savons qu’elle n’existe pas en dehors des communiqués, des tracts et des pétitions et des appels. Nous en prenons acte.

 Aux syndicats, aux partis, à la gauche politique française d’être mis le nez sur leur pourrissement. [...]. Voici leurs troupes : ces chauffeurs de bus qui ne descendent pas de leur cabine lorsqu’on transforme leur autobus en car de police ; les mêmes , qui signalent aux policiers, à Neuilly, par des appels phare code, la présence d’Algériens dans leur autobus ; et des ouvriers de chez Renault qui voient retirer, dans l’Ile Seguin, un cadavre d’Algérien de la Seine et qui s’éloignent indifférents. Et il y a pire. Lorsque dans les entreprises, usines, chantiers, la police vient et arrête les Algériens- et cela se passe chaque jour-qui proteste ? Personne. Lorsque, un matin, deux, trois ou cinq Algériens manquent à la chaîne, qui va voir un chef de département ? Qui va lui demander "Que se passe-t-il, que sont devenus nos camarades ? ". Qui va, délégué s’informer à leur domicile ?Personne ! 

Lorsque le mardi 17 octobre, des Algériens poursuivis se réfugient à 20h, dans les escaliers et les couloirs d’un métro et que la police les y traque et les y cerne et que se déroulent, sur les quais, dans les escaliers, des scènes atroces, que se passe-t-il ? Les rames passent et partent, chargés d’ouvriers et d’employés qui regardent la police "trier " et accomplir sa besogne. Qui bouge ? Personne. Lorsque, près des usines, des hôtels sont investis à n’importe quelle heure de la nuit et du jour, et que des ouvriers voient cela - car ils le voient- que font-ils ? Rien. Vous croyez que nous sommes étonnés ? Non. Cette passivité, ce racisme latent, cette indifférence n’est que la concrétisation politique de ce que nous vivons et subissons depuis des années. [...]Tenez, des centaines de nos frères ont été rapatriés vers leurs "douars d’origine ", autrement dit : expédiés dans des camps d’Algérie.

Nous avons informés partis et organisations, du jour, de l’heure, du lieu du premier départ. Nous avons attendu que le peuple des travailleurs français vienne à ce rendez-vous de la colère et de la déportation.
Est-il venu, ce peuple. Devinez....


Texte du 16 novembre 1961 d’Omar Ouhadj, responsable clandestin de l’association générale des travailleurs algériens, suite au refus de la CGT et de la CFTC d’organiser une manifestation contre la répression


mardi 11 février 2014

Dawid Sierakowiak, Lodz 1940.

« Jeudi 10 août 1940. Lodz. Calme , chaleur J'ai lu et commencé d'écrire un ouvrage sur l'avenir immédiat de la communauté juive que j'avais en tête d'écrire depuis longtemps. Semitia prévoit un programme de réconciliation et de coopération avec les Arabes. »

Lorsque Dawid Sierakowiak écrit ces lignes dans son journal, il a seize ans. Il est Juif et attend à Lodz , l'entrée imminente dans la ville des troupes allemandes. Sioniste et communiste, il n'a bien entendu pas tellement d'illusions sur ce qui va arriver quand les nazis seront là.

Et pourtant, ce jour là, il pense aux Arabes, lui qui n'a jamais vu d'Arabes, lui qui aurait toutes les raisons de se moquer éperdument de ce qui pourrait leur arriver, si après tout l'émigration pouvait lui sauver la vie.

A tous les cyniques, à tous les résignés à la haine avant d'avoir essayé la paix, à tous ceux qui ricanent devant la croyance en une humanité qui sera un jour ou l'autre unie dans l'égalité, il faut rappeler le nom de Dawid Sierakowak, ce jeune garçon de 16 ans qui pensait à la paix future, un jour d'août 1940, alors que son avenir à lui était déjà obscurci par les bourreaux nazis.

David est mort en homme libre, de la tuberculose et d'épuisement dans le ghetto de Lodz, en septembre 1943.

Des extraits de son journal sont traduits en français dans l'ouvrage « L'enfant et le génocide : témoignages sur l'enfance pendant la Shoah » aux éditions Robert Laffont.