jeudi 20 février 2014

L'antifascisme qui sentait le poisson mort.

Les manifs, c'est symbolique. On ne fait que marcher, ensemble d'un point à un autre. A la base, déjà, ça a parfois un côté frustrant. Mais être ensemble, c'est aussi se donner l'espoir au cœur.

Normalement. Quand tu y vas avec une boule dans le ventre, et que tu en repars avec une nausée persistante, à un moment il faut arrêter.


C'est ce que je vais faire avec les manifs antifascistes et antiracistes de la gauche, en ce moment.
Parce que l'impression de tomber de Charybde en Scylla a assez duré.

Samedi antiraciste 30 novembre : marcher sous les drapeaux des grandes organisations historiques, LDH, MRAP, LICRA. Savoir que les deux dernières n'hésitent plus à seconder, voir à devancer l'AGRIF en soutenant le concept de « racisme anti-Blancs », inventé par l'extrême-droite. Vivre ce défilé comme un immense non-dit, d'ailleurs les gens sont assez silencieux. Et pour cause, si on allait plus loin que ce « Contre le racisme » énorme inscrit sur les banderoles, on s'engueulerait. Ca finirait mal, même avec ces dirigeants du PS, qui sont là, et qui soutiendront lundi matin l'expulsion des bidonvilles, ou une nouvelle mesure contre les femmes qui portent le voile.

Mais enfin on défile. On se dit qu'un début de mobilisation, c'est toujours ça, que ça pourra donner lieu à des réactions plus rapides par la suite.

Et puis, en décembre, on attend. La manif contre l'antisémitisme et le fascisme devant le théâtre de la Main d'Or, organisée unitairement par la gauche antiraciste. On sait qu'on ne serait pas des millions, mais on sait aussi qu'on serait quelques milliers. Et même un millier, ce serait le départ attendu pour la suite. Mais il n'y en aura pas. Au contraire, on aura même des communiqués solennels de la LDH pour condamner l'interdiction de deux ou trois meetings néo-nazis du politicien. Ca, apparemment, c'était urgent.

Alors, au mois de février, on lit un appel radical contre la politique du gouvernement, contre le racisme et l'antisémitisme, « larvé » ou pas. Un appel qui dit que ce n'est pas à Valls de faire le boulot, mais à « nous ». On n'est pas franchement enthousiaste non plus, mais on y va quand même, par solidarité.

C'est à peine quelques semaines après qu'un cortège fasciste ait crié «  Juif, la France n'est pas à toi », dans les rues de Paris. Pas besoin d'être Juif pour savoir ce que ça signifie, en terme de confiance en soi et de volonté de radicalisation immédiate, de la part des fascistes. Quand leurs militants revendiquent ouvertement des slogans nazis, ça veut dire qu'ils ont décidé d'assumer tout ce qui va avec, et que ça va cogner sec, pas seulement pour les Juifs, mais pour toutes les minorités.

Donc, ce dimanche 9 février, tu vas manifester. Enfin, dix minutes à peine. Jusqu'à ce que se déploie une banderole «  Contre le sionisme et le fascisme », et qu'une cinquantaine de personnes se mette à hurler contre les « sionistes ». Dix minutes, le temps de remarquer que ce cortège là est sans doute celui qui crie le plus fort, avec le plus de rage, et de volonté politique. Et la volonté politique , elle est claire, contester Dieudonné sur son terrain, récupérer le public tant convoité de la Main d'Or. D'ailleurs il y a un ordre sur la banderole : contre le sionisme, d'abord, contre le fascisme ensuite, éventuellement, peut-être....

Donc voilà, une « manif antifasciste » qui colporte les thèmes fascistes dans les rues, avec enthousiasme en plus.

Après, il y a les soirées débat virtuelles. Ces tonnes de pages noircies par des gens qui t'expliquent toujours la même chose. Non, c'est pas parce que l'extrême-droite défile contre le « racisme anti-blancs » qu'on doit se poser des questions sur le fait de le dénoncer, nous aussi. Non, ce n'est pas parce que « sionisme » est sans doute le mot le plus employé par les sites fascistes avec « islamisme » qu'on ne doit pas en faire un pivot de nos mobilisations.

Non, ce n'est pas parce qu'on ressemble à l'extrême-droite, qu'on doit se sentir gêné aux entournures.

Ben voyons.

Bref, le «  défilez, y'a rien à voir » a assez duré.

On hésite à l'écrire, on se dit que c'est « démobilisateur ». Mais c'est le contraire.

Parce qu'une manifestation, ce n'est que symbolique. Et que les symboles sont là pour rassembler, pour conforter, pour donner la pêche. Quand les évènements symboliques donnent un goût de chiotte à tes combats quotidiens, c'est pire que pas de symbole du tout.

Les combats ne se gagnent pas dans les marches du week-end. Alors quand ces marches t'empêchent de te battre correctement le lundi, parce qu'elles ont été entachées de saloperies sans nom, quand les gens qui ne sont pas venus te demandent « c'était bien la manif ? », et qu'au lieu de pouvoir leur répondre «  génial , t'aurais du venir », tu te tais et tu te dis en toi-même «  bah heureusement qu'ils sont pas venus », il est temps de courir d'autres chemins.

Le dimanche , désormais, je n'irai pas à la pêche. Mais je me tiendrai bien loin de ce prétendu antifascisme qui sent le poisson mort.

mercredi 19 février 2014

Omar Ouhadj, Paris, 16 novembre 1961

"Nos manifestations ont eu un objectif et un sens politique. Elles nous ont permis de mettre à nu, sur le terrain, les possibilités des organisations qui nous prêchent, de dévoiler leur "autorité ", de leur infliger enfin une terrible leçon qui les a mises en face de toutes les erreurs qu’elles ont engendrées et collectionnées depuis sept ans. [...]

Nous avons évalué la solidarité des travailleurs et du peuple français. Nous savons qu’elle n’existe pas en dehors des communiqués, des tracts et des pétitions et des appels. Nous en prenons acte.

 Aux syndicats, aux partis, à la gauche politique française d’être mis le nez sur leur pourrissement. [...]. Voici leurs troupes : ces chauffeurs de bus qui ne descendent pas de leur cabine lorsqu’on transforme leur autobus en car de police ; les mêmes , qui signalent aux policiers, à Neuilly, par des appels phare code, la présence d’Algériens dans leur autobus ; et des ouvriers de chez Renault qui voient retirer, dans l’Ile Seguin, un cadavre d’Algérien de la Seine et qui s’éloignent indifférents. Et il y a pire. Lorsque dans les entreprises, usines, chantiers, la police vient et arrête les Algériens- et cela se passe chaque jour-qui proteste ? Personne. Lorsque, un matin, deux, trois ou cinq Algériens manquent à la chaîne, qui va voir un chef de département ? Qui va lui demander "Que se passe-t-il, que sont devenus nos camarades ? ". Qui va, délégué s’informer à leur domicile ?Personne ! 

Lorsque le mardi 17 octobre, des Algériens poursuivis se réfugient à 20h, dans les escaliers et les couloirs d’un métro et que la police les y traque et les y cerne et que se déroulent, sur les quais, dans les escaliers, des scènes atroces, que se passe-t-il ? Les rames passent et partent, chargés d’ouvriers et d’employés qui regardent la police "trier " et accomplir sa besogne. Qui bouge ? Personne. Lorsque, près des usines, des hôtels sont investis à n’importe quelle heure de la nuit et du jour, et que des ouvriers voient cela - car ils le voient- que font-ils ? Rien. Vous croyez que nous sommes étonnés ? Non. Cette passivité, ce racisme latent, cette indifférence n’est que la concrétisation politique de ce que nous vivons et subissons depuis des années. [...]Tenez, des centaines de nos frères ont été rapatriés vers leurs "douars d’origine ", autrement dit : expédiés dans des camps d’Algérie.

Nous avons informés partis et organisations, du jour, de l’heure, du lieu du premier départ. Nous avons attendu que le peuple des travailleurs français vienne à ce rendez-vous de la colère et de la déportation.
Est-il venu, ce peuple. Devinez....


Texte du 16 novembre 1961 d’Omar Ouhadj, responsable clandestin de l’association générale des travailleurs algériens, suite au refus de la CGT et de la CFTC d’organiser une manifestation contre la répression


mardi 11 février 2014

Dawid Sierakowiak, Lodz 1940.

« Jeudi 10 août 1940. Lodz. Calme , chaleur J'ai lu et commencé d'écrire un ouvrage sur l'avenir immédiat de la communauté juive que j'avais en tête d'écrire depuis longtemps. Semitia prévoit un programme de réconciliation et de coopération avec les Arabes. »

Lorsque Dawid Sierakowiak écrit ces lignes dans son journal, il a seize ans. Il est Juif et attend à Lodz , l'entrée imminente dans la ville des troupes allemandes. Sioniste et communiste, il n'a bien entendu pas tellement d'illusions sur ce qui va arriver quand les nazis seront là.

Et pourtant, ce jour là, il pense aux Arabes, lui qui n'a jamais vu d'Arabes, lui qui aurait toutes les raisons de se moquer éperdument de ce qui pourrait leur arriver, si après tout l'émigration pouvait lui sauver la vie.

A tous les cyniques, à tous les résignés à la haine avant d'avoir essayé la paix, à tous ceux qui ricanent devant la croyance en une humanité qui sera un jour ou l'autre unie dans l'égalité, il faut rappeler le nom de Dawid Sierakowak, ce jeune garçon de 16 ans qui pensait à la paix future, un jour d'août 1940, alors que son avenir à lui était déjà obscurci par les bourreaux nazis.

David est mort en homme libre, de la tuberculose et d'épuisement dans le ghetto de Lodz, en septembre 1943.

Des extraits de son journal sont traduits en français dans l'ouvrage « L'enfant et le génocide : témoignages sur l'enfance pendant la Shoah » aux éditions Robert Laffont.