Les manifs, c'est symbolique. On ne
fait que marcher, ensemble d'un point à un autre. A la base, déjà,
ça a parfois un côté frustrant. Mais être ensemble, c'est aussi
se donner l'espoir au cœur.
Normalement. Quand tu y vas avec une
boule dans le ventre, et que tu en repars avec une nausée
persistante, à un moment il faut arrêter.
C'est ce que je vais faire avec les manifs antifascistes et antiracistes de la gauche, en ce moment.
Parce que l'impression de tomber de
Charybde en Scylla a assez duré.
Samedi antiraciste 30 novembre :
marcher sous les drapeaux des grandes organisations historiques, LDH,
MRAP, LICRA. Savoir que les deux dernières n'hésitent plus à
seconder, voir à devancer l'AGRIF en soutenant le concept de
« racisme anti-Blancs », inventé par l'extrême-droite.
Vivre ce défilé comme un immense non-dit, d'ailleurs les gens sont
assez silencieux. Et pour cause, si on allait plus loin que ce
« Contre le racisme » énorme inscrit sur les banderoles,
on s'engueulerait. Ca finirait mal, même avec ces dirigeants du PS,
qui sont là, et qui soutiendront lundi matin l'expulsion des
bidonvilles, ou une nouvelle mesure contre les femmes qui portent le
voile.
Mais enfin on défile. On se dit qu'un
début de mobilisation, c'est toujours ça, que ça pourra donner
lieu à des réactions plus rapides par la suite.
Et puis, en décembre, on attend. La
manif contre l'antisémitisme et le fascisme devant le théâtre de
la Main d'Or, organisée unitairement par la gauche antiraciste. On
sait qu'on ne serait pas des millions, mais on sait aussi qu'on
serait quelques milliers. Et même un millier, ce serait le départ
attendu pour la suite. Mais il n'y en aura pas. Au contraire, on aura
même des communiqués solennels de la LDH pour condamner
l'interdiction de deux ou trois meetings néo-nazis du politicien.
Ca, apparemment, c'était urgent.
Alors, au mois de février, on lit un
appel radical contre la politique du gouvernement, contre le racisme
et l'antisémitisme, « larvé » ou pas. Un appel qui dit
que ce n'est pas à Valls de faire le boulot, mais à « nous ».
On n'est pas franchement enthousiaste non plus, mais on y va quand
même, par solidarité.
C'est à peine quelques semaines après
qu'un cortège fasciste ait crié « Juif, la France n'est pas
à toi », dans les rues de Paris. Pas besoin d'être Juif pour
savoir ce que ça signifie, en terme de confiance en soi et de
volonté de radicalisation immédiate, de la part des fascistes.
Quand leurs militants revendiquent ouvertement des slogans nazis, ça
veut dire qu'ils ont décidé d'assumer tout ce qui va avec, et que
ça va cogner sec, pas seulement pour les Juifs, mais pour toutes les
minorités.
Donc, ce dimanche 9 février, tu vas
manifester. Enfin, dix minutes à peine. Jusqu'à ce que se déploie
une banderole « Contre le sionisme et le fascisme », et
qu'une cinquantaine de personnes se mette à hurler contre les
« sionistes ». Dix minutes, le temps de remarquer que ce
cortège là est sans doute celui qui crie le plus fort, avec le plus
de rage, et de volonté politique. Et la volonté politique , elle
est claire, contester Dieudonné sur son terrain, récupérer le
public tant convoité de la Main d'Or. D'ailleurs il y a un ordre sur
la banderole : contre le sionisme, d'abord, contre le fascisme
ensuite, éventuellement, peut-être....
Donc voilà, une « manif
antifasciste » qui colporte les thèmes fascistes dans les
rues, avec enthousiasme en plus.
Après, il y a les soirées débat
virtuelles. Ces tonnes de pages noircies par des gens qui
t'expliquent toujours la même chose. Non, c'est pas parce que
l'extrême-droite défile contre le « racisme anti-blancs »
qu'on doit se poser des questions sur le fait de le dénoncer, nous
aussi. Non, ce n'est pas parce que « sionisme » est sans
doute le mot le plus employé par les sites fascistes avec
« islamisme » qu'on ne doit pas en faire un pivot de nos
mobilisations.
Non, ce n'est pas parce qu'on ressemble
à l'extrême-droite, qu'on doit se sentir gêné aux entournures.
Ben voyons.
Bref, le « défilez, y'a rien à
voir » a assez duré.
On hésite à l'écrire, on se dit que
c'est « démobilisateur ». Mais c'est le contraire.
Parce qu'une manifestation, ce n'est
que symbolique. Et que les symboles sont là pour rassembler, pour
conforter, pour donner la pêche. Quand les évènements symboliques
donnent un goût de chiotte à tes combats quotidiens, c'est pire que
pas de symbole du tout.
Les combats ne se gagnent pas dans les
marches du week-end. Alors quand ces marches t'empêchent de te
battre correctement le lundi, parce qu'elles ont été entachées de
saloperies sans nom, quand les gens qui ne sont pas venus te
demandent « c'était bien la manif ? », et qu'au
lieu de pouvoir leur répondre « génial , t'aurais du
venir », tu te tais et tu te dis en toi-même « bah
heureusement qu'ils sont pas venus », il est temps de courir
d'autres chemins.
Le dimanche , désormais, je n'irai pas
à la pêche. Mais je me tiendrai bien loin de ce prétendu
antifascisme qui sent le poisson mort.